Frédéric Delorca, comment est né le projet « Atlas Alternatif » et en quoi consiste-t-il ?
J’ai lancé le projet d’Atlas alternatif juste avant la guerre d’Irak. A l’époque plusieurs sites Internet avaient commencé à publier des informations alternatives contre les interventions impériales de l’OTAN au Kosovo et en Afghanistan. J’ai voulu que le grand public (et pas seulement les jeunes Internautes) puisse avoir sous la main un outil qui lui explique sur un plan très factuel tous les méfaits du processus de mondialisation lancé par les grandes puissances occidentales pour dissiper tous les rideaux de fumée entretenus pas les grands médias. Avec le soutien des éditions Le Temps des Cerises et d’un réseau que j’avais constitué autour de mon premier site d’information alternative (sur l’ex-Yougoslavie) j’ai donc réuni, dans les deux années qui ont suivi, une quarantaine de contributeurs d’orientations politiques assez diverses (des trotskystes aux chevènementistes en ce qui concerne les Français), mais aussi de divers horizons géographiques (ils venaient des cinq continents) et de diverses spécialités (il y avait des politistes, des économistes, des anthropologues, des universitaires aussi bien que des journalistes et des militants). Nous avons composé un livre qui, dans sa première partie, abordait sous un angle global les grands phénomènes de prédation mondiale (le développement des structures militaires, les structures financières, la propagande médiatique) contrôlés par les puissances occidentales, puis, dans une seconde partie, les effets des politiques d’ingérence dans les vingt zones du globe que nous avions dessinées, au cours de la période allant de 1990 à 2005. Le résultat fut un peu inégal comme souvent avec les ouvrages collectifs, mais au moins nous avions un outil informatif sans équivalent sur la place éditoriale, à la disposition des citoyens soucieux d’échapper à la doxa médiatique omniprésente. L’éditeur en 2006 l’a appelé « Atlas alternatif », même s’il s’agit plutôt d’un « état de la domination occidentale dans le monde ».
Quels ont été les différents échos rencontrés par votre ouvrage et par votre blog (http://atlasalternatif.over-blog.com/) ?
Le boycott médiatique (prévisible) autour du livre (à part des publications anti-libérales qui en ont parlé comme L’Humanité dimanche) et la configuration (plus complexe à anticiper) des milieux hostiles à la globalisation libérale en France n’ont pas permis de susciter des grandes mobilisations dans le sillage de la publication de l’ouvrage comme je l’aurais souhaité. Mais il y a quand même eu quelques initiatives militantes intéressantes comme sa distribution au Forum social mondial de Nairobi en janvier 2007, et puis aujourd’hui le livre est accessible dans beaucoup de bibliothèques universitaires et municipales et il existe même un groupe d’un millier de personnes sur Facebook qui demande qu’il soit acheté par toutes les bibliothèques publiques. Surtout nous avons mis en place, avec le soutien de quelques contributeurs, un blog – http://atlasalternatif.over-blog.com/ – qui actualise le livre deux fois par mois en moyenne (pour ne pas non plus saturer les boîtes emails des abonnés) en traitant des pays ou des zones qui nous paraissent intéressants du point de vue de l’équilibre géopolitique mondial ou simplement parce qu’ils révèlent des possibilités politiques sur lesquelles les grands médias cultivent le silence ou la désinformation. Le blog, qui existe depuis quatre ans, compte un peu plus de deux cents articles en libre accès, consultables gratuitement, dont beaucoup ont été repris sur des blogs et des sites amis (et aussi parfois malheureusement par des sites avec lesquels je ne suis pas d’accord, mais c’est la loi du genre sur le Net). L’approche du blog comme celle du livre vise à souligner les dangers de l’hégémonisme des grandes puissances occidentales (les Etats-Unis en premier lieu, mais aussi leurs alliés en Europe et ailleurs, et les structures internationales qu’ils contrôlent comme le FMI, l’OMC, etc.) et valoriser les mouvements de résistance ou les politiques de non-alignement. Le parti pris est d’écrire des billets concis, faciles à lire, comme des revues de presse, et qui renvoient (par lien hypertexte) à des articles de journaux ou de sites en français, en anglais et en espagnol pour plus de détail. L’accent est toujours mis sur des informations qui ont été travesties ou occultées par les grands médias occidentaux (lesquels sont aussi ceux qui donnent le ton de l’information et de la désinformation planétaires).
Par ailleurs le livre a été traduit en anglais (il est en vente sur http://www.lulu.com/content/3600002) et actualisé pour cette version en 2008. Nous avons eu l’année dernière des propositions pour une traduction espagnole en Colombie (un pays de la ligne de front de la résistance à l’impérialisme !), mais cela supposerait une refonte assez complète du livre cinq ans après sa première publication ce qui est compliqué à faire. Donc je préfère encore, comme cela arrive souvent, qu’il y ait des traductions spontanées sur le Net en anglais, en italien, etc. des articles tirés du blog.
Enfin à titre personnel j’ai publié en 2009 et 2010 deux livres aux Editions du Cygne qui appliquent l’esprit de l’Atlas alternatif (critique de la désinformation dominante, recherche des données factuelles, respect de l’histoire des peuples et défense du non-alignement) à deux Etats autoproclamés de l’ex-URSS très méconnus en Occident : la Transnistrie (http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-transnistrie-voyage-pays-soviets.html ) et l’Abkhazie (http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-abkhazie-decouverte-republique.html ).
Au terme d’une année 2010 chargée en événements internationaux, comment décririez-vous la photographie du Monde ?
Je crois qu’il faut replacer cette année dans la perspective de la décennie écoulée. On est passé d’un équilibre des forces où les puissances occidentales (euro-atlantiques) se sentaient si hégémoniques qu’elles prétendaient lancer des croisades humanitaires dans le monde entier (avec une OTAN aguerrie au Kosovo et désormais « globalisée », qui remplacerait ainsi l’ONU pour le maintien de l’ordre mondial) à un monde plus équilibré. On connaît bien les facteurs de ce rééquilibrage : enlisement militaire des Etats-Unis en Irak (où ils ont dû accepter la mise en place d’un gouvernement très influencé par l’Iran), en Afghanistan (où aucun des objectifs de guerre affichés n’a été atteint), leur affaiblissement économique, l’échec du coup d’Etat anti-Chavez au Venezuela, la défaite d’Israël au Liban et celle de la Géorgie en Ossétie du Sud, le redressement de la Russie, la montée en puissance de pays émergents comme le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou même la Turquie (qui ont beaucoup pesé sur les négociations commerciales internationales), et surtout évidemment l’envol économique et militaire de la Chine. Tout cela a donné des résultats très concrets dans les diverses régions du monde : échec de l’Occident a faire reconnaître l’indépendance du Kosovo par les Nations-Unies, impossibilité de mettre en place des centres militaires opérationnels étatsuniens en Afrique (le centre de commandement militaire étatsunien pour l’Afrique a dû être basé en Europe), préservation de la souveraineté de petits pays « résistants » comme Cuba et émancipation progressive d’alliés des Etats-Unis comme l’Indonésie.
Mais, en même temps, les événements de l’année 2010 ont montré que l’affaiblissement du bloc euro-atlantique ne signifie nullement la fin de ses aspirations à l’hégémonisme et qu’en outre, le modèle idéologique occidental (le néolibéralisme anglosaxon et le système de valeur qu’il incarne) reste très attractif dans le monde : non seulement la crise financière de 2007-2009 n’a pas engendré de grands changements politiques dans les pays riches (il n’y a pas eu de grand mouvement populaire de remise en cause du système, juste des grèves assez éphémères en Grèce, au Portugal etc.) mais elle n’a pas non plus altéré la capacité d’action des puissances euro-atlantiques dans le Tiers-Monde. On peut regarder les grands équilibres par zone.
En Amérique latine, la résistance à l’hégémonisme états-unien est en difficulté : même de chauds partisans des mouvements sociaux latino-américains comme le contributeur de l’Atlas alternatif Raul Zibechi l’ont reconnu dans leurs écrits récents. La tentative de coup d’Etat contre Rafael Correa en Equateur, les grèves contre Evo Morales en Bolivie, l’échec de Chavez à faire adopter son projet de constitution socialiste, le recul de son parti aux élections législatives (même s’il reste largement majoritaire), la facilité avec laquelle le régime putschiste hondurien s’est fait accepter par les instances internationales, tout cela est plutôt de mauvaise augure pour les années qui viennent, et ce n’est pas cela qui peut dissuader l’establishment étatsunien de poursuivre son projet de constructions de bases militaires en Colombie ni ses visées sur les réserves d’eau et la biodiversité amazoniennes.
En Afrique, si des pays comme le Zimbabwe ou le nouveau régime malgache peuvent miser sur la montée en puissance de la Chine pour diversifier leurs sources d’approvisionnement et d’aide économique, je suis frappé par le renouveau de la Françafrique en Afrique centrale et occidentale. Une Françafrique débarrassée du potentiel de non-alignement qui avait pu être le sien lors de la première guerre civile de Côte d’Ivoire (quand les partisans de Laurent Gbagbo appelaient Bush à leur secours) pour devenir l’alliée fidèle des Etats-Unis. Au Togo, au Gabon, en Guinée, au Burkina, les élections (parfois très contestables, mais cela la presse ne le dira pas) ont été favorables aux candidats de l’Elysée. Et en 2010 dans le seul pays (la Côte d’Ivoire) où le résultat s’est révélé incertain et où l’ancien client de la Françafrique (Laurent Gbagbo) refuse de capituler devant le nouveau favori des grandes puissances (Alassane Ouattara), Washington et Paris sont parvenus à réunir un consensus interventionniste autour d’eux à l’ONU. C’est très préoccupant pour l’avenir, tout comme me paraît très préoccupante la militarisation du Sahel sous couvert de « lutte anti-terroriste » contre Al Qaeda Maghreb Islamique. Plus à l’Est en Afrique aussi les puissances occidentales marquent des points. Elles sont parvenues là aussi à imposer une logique de militarisation et d’interventionnisme en Somalie et au large de la corne de l’Afrique, sous couvert là encore de lutte contre le « terrorisme » ou contre la piraterie, et en réalité de défense des intérêts économiques des multinationales : au Niger la protection de l’exploitation de l’uranium par Areva, au large de la Somalie et du Yémen (mais aussi sur le territoire yéménite, dans une guerre obscure dont on parle si peu) la protection de navires de commerce.
Il est aussi très préoccupant de voir se dérouler sous nos yeux une recomposition de la carte de la région du Nil qui n’est pas du tout favorable au non-alignement des peuples de cette zone. Cela a commencé dans les Grands Lacs avec la neutralisation du Congo (l’assassinat de M. Kabila père, l’alignement du code minier congolais sur les intérêts des multinationales, la réconciliation de M. Sarkozy avec le régime rwandais de M. Kagamé), plus au nord la consécration de l’Ethiopie, du Rwanda et de l’Ouganda comme verrous du contrôle de la Somalie. Maintenant la sécession sans coup férir du Sud-Soudan, enfant chéri des néo-conservateurs étatsuniens qui a déjà annoncé que sa première mesure sera d’établir des relations diplomatiques avec Israël. Avec ce dispositif les atlantistes seront en mesure de faire pression sur l’Egypte (elle-même verrouillée par une dictature, mais une dictature vieillissante comme celle de M. Ben Ali en Tunisie qui vient de quitter le pouvoir, et donc toujours susceptible de basculer prochainement – or l’Egypte est aussi la clé du maintien de la pax americana au Proche-Orient).
Au Proche-Orient justement les occidentaux maintiennent et renforcent leurs positions dans le Golfe arabo-persique (là-encore avec le concours très dévoué de la France qui a inauguré une base militaire à Abou Dhabi).
Les Etats-Unis parviennent bon an mal an à neutraliser le pouvoir de nuisance de l’Irak (qu’ils ont il est vrai méticuleusement épuisé et encouragé à se perdre dans des rivalités communautaristes), s’apprêtent à s’en retirer au prix d’une privatisation de l’occupation, cédée à des entreprises de mercenaires. Ils réussissent aussi à maintenir la pression sur l’Iran avec un chantage permanent au bombardement des installations nucléaires et des opérations de propagande planétaire du genre de l’affaire Sakineh Mohammadi-Ashtiani. Bien qu’ils n’aient pas réussi à mettre en cause la Syrie dans l’assassinat de Rafiq Hariri au Liban en 2005, ce qui leur aurait donné un prétexte pour mettre ce pays au ban des nations, ils continuent d’utiliser le tribunal spécial pour le Liban pour tenter de neutraliser les partis qui leur sont hostiles (leurs dernières manœuvres en ce sens au mois de décembre sont à l’origine de l’éclatement de la coalition gouvernementale ce mois-ci).
Il y a bien sûr des éléments positifs comme ces manœuvres militaires conjointes turco-chinoises qui ont été révélées en octobre et critiquées avec véhémence par Israël. C’était notamment intéressant parce que selon certaines informations (qu’il faut cependant prendre avec précaution, j’ai dit pourquoi dans le blog) les avions chinois auraient obtenu l’accord des autorités pakistanaises (à la fois alliées des Etats-Unis et des Chinois qui ont beaucoup aidé ce pays contre l’Inde) pour survoler leur territoire afin d’aller s’entraîner en Turquie.
Mais je suis aussi frappé par la capacité qu’ont les Occidentaux à toujours désamorcer ce genre de « menace ». Ainsi, on a vu qu’Israël, pendant un temps inquiété par la politique de Poutine qui livrait des armes au Hezbollah libanais et voulait impliquer la Russie dans le règlement du conflit palestinien, a réussi à édulcorer la position russe. En septembre dernier la Russie a signé avec Israël un accord de coopération militaire portant notamment sur la « lutte contre le terrorisme ». Aujourd’hui la Russie est beaucoup moins offensive au Proche-Orient que sous la présidence de Vladimir Poutine – à l’époque elle avait récupéré sa base de l’ère soviétique à Tartous en Syrie, utile à la présence de sa flotte en Méditerranée. On parle encore d’alliance possible russo-turco-syrienne contre Israël, et il se peut que le pouvoir russe soit lui-même divisé sur la question de la vente des missiles d’autodéfense à la Syrie par exemple. Il a été question du déploiement de missiles de théâtre Iskander, puis cela a été démenti et on ne parle plus que de missiles anti-navires Yakhont pour protéger la base de Tartous. De même Moscou a renoncé à vendre des missiles S-300 à l’Iran (ces ventes sont des thèmes clés pour l’équilibre des forces au Proche-orient) et a beaucoup durci sa position à l’égard de ce pays sur le dossier nucléaire.
Il semble qu’Israël obtienne les mêmes résultats avec la Chine. Il existe une coopération technologique militaire entre Israël et la Chine depuis les années 1980. Et le porte-parole des forces de défense israéliennes le général de brigade Avi Benayahu était à Pékin en octobre dernier pour renforcer la coopération avec l’armée chinoise, ce qui n’augure guère d’un soutien actif de la Chine aux Palestiniens.
Cette grande modération des Russes et des Chinois au Proche-Orient (et aussi pourrait-on dire en Afrique) est le fruit de pressions que l’Occident est capable d’exercer aux frontières mêmes de ces pays, et à l’intérieur de leur société civile.
En ce qui concerne la Russie, la pression aux frontières concerne surtout le Caucase : Obama a renforcé les crédits de USAID dont une partie des deniers soutient les revendications irrédentistes du Nord-Caucase. Les jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014 pourraient être l’occasion de tensions autour de l’indépendance des peuples « circassiens » (je renvoie à mon livre sur l’Abkhazie à ce sujet) comme les jeux olympiques de Pékin en 2008 furent l’occasion d’une agitation tibétaine. Les tensions ethniques entre Russes et Caucasiens à Moscou en décembre dernier, dont on ne sait pas bien qui les manipule ni comment, s’inscrivent dans ce contexte. Les Russes ont neutralisé la Géorgie et placé leurs missiles en Abkhazie, mais cela n’est que de peu d’intérêt pour eux si des organisations comme l’ « Emirat du Caucase » parviennent à déstabiliser les républiques encore membres de la Fédération de Russie.
Mais il n’y a pas que le Caucase. Il y a la frontière occidentale, où, bien que la Russie soit parvenue à enrayer en Ukraine la « révolution orange » de 2004 et le projet d’adhésion de ce pays à l’OTAN, elle n’a pas trouvé de solution pour dépasser les profondes divisions de ce pays. Il y a bien sûr aussi l’Asie centrale potentiellement instable, et la frontière maritime arctique, où l’OTAN a lancé une politique très offensive.
En outre la Russie, si elle a un peu récupéré économiquement par rapport à l’ère d’Eltsine reste dépendante du système capitaliste mondial contrôlé par les pouvoirs financiers occidentaux, comme la crise de 2007-2008 l’a montré, ce qui l’incite toujours à des positions de compromis (une position qu’incarne particulièrement Medvedev face à Poutine). Le compromis Medvedev-Obama sur le bouclier antimissile en fut la preuve. Tout cela n’incite guère à voir dans la Russie un contrepoids solide face aux visées occidentales. Certes Chavez parvient à convaincre Medvedev de respecter les accords de défense avec lui, mais on voit mal Moscou s’engager d’une façon trop « visible » sur d’autres terrains. Si on prend la Côte d’Ivoire en décembre dernier, les hésitations de la Russie à valider au Conseil de sécurité le rapport (très favorable aux Occidentaux) de l’émissaire de l’ONU Choi Young-Jin n’ont pas duré très longtemps.
La Chine est dans une situation un peu comparable pour l’instant. Son envol économique lui donne des pouvoirs nouveaux mais dont elle hésite à se servir. De fait elle se trouve de plus en plus prise dans des relations d’interdépendance : le créancier a besoin de la survie du débiteur, si le système économique mondial contrôlé par les Occidentaux s’effondre, la Chine s’effondre à son tour (d’autant que son économie est encore fragilisée par la pénurie de matières premières, de pétrole, et par la masse de paysans qu’elle n’a pas encore transformés en classe moyenne urbaine – d’ailleurs le pourra-t-elle ?). Quant aux menaces aux frontières, elles existent pour elle comme pour la Russie : en juillet 2009 des émeutes ont éclaté au Turkestan chinois (Xianjiang) et une ancienne traductrice du FBI a rappelé à cette occasion qu’avant 2001 Al Qaeda avait été entraîné par la CIA pour mener des actions dans cette région. Le degré d’ingérence des services occidentaux dans cette zone n’est pas clair. C’est peut-être là un point plus dangereux encore pour la Chine que la question tibétaine.
Par ailleurs il faut se rappeler que la Chine est encerclée par des bases militaires étatsuniennes et par des patrouilles de l’US Navy au large de ses côtes au nord comme au sud (en jouant sur le supposé danger nord-coréen au nord, et sur les divisions de l’ASEAN au sud). Washington a durablement scellé son alliance avec l’Inde autour d’un partage de la puissance nucléaire, et il encourage la politique agressive de pays comme la Corée du Sud qui jouent en extrême orient un rôle comparable à celui de l’Ouganda en Afrique de l’Est. 2010 a quand même été marquée par deux crises entre la Corée du Nord et la Corée du Sud (autour du navire militaire Cheonan prétendument coulé en juillet 2010 par les Nord-Coréens, ce dont on peut douter de plus en plus, quoi qu’en disent nos grands médias, et autour des tirs d’obus sur l’île de Yeonpyeong fin novembre, dont on peut se demander s’ils n’ont pas été un peu «encouragés» par l’attitude sud-coréenne).
Enfin la Chine doit aussi affronter des pressions énormes sur la question des droits de l’homme par des lobbys qui peuvent utiliser cette pression au service d’intérêts tout autres, comme l’Occident a l’habitude de le faire depuis plus d’un siècle. L’attribution du prix Nobel au dissident Liu Xiaobo s’inscrit évidemment dans ce contexte d’intimidation idéologique. On peut aussi citer le soutien de la Fondation Lantos basée aux Etats-Unis (elle est liée au Parti démocrate) et patronnée par Shimon Peres, à des figures d’opposition comme le Dalaï Lama, les adeptes du Falun Gong ou l’artiste Shen Yun. Il n’est pas certain que ce genre d’initiative n’ait pas d’influence sur la politique de la Chine au Proche-Orient par exemple.
Beaucoup d’adversaires de la politique impériale de l’Occident dans le monde ont tendance à prendre leurs désirs pour des réalités, ils ont chanté un peu trop vite en 2006-2007 l’avènement d’un monde « multipolaire ». La vérité est que le jeu est ouvert, l’Occident peut aussi bien marquer des points décisifs qu’enregistrer des défaites importantes.
Derrière cette photographie, quelles sont de votre point de vue les grandes dynamiques en œuvre, et les grands enjeux pour 2011 ?
Je crois qu’en 2011 et pour les années qui suivent, les grands enjeux vont se focaliser autour des questions suivantes :
1 – Le système économique mondial peut-il continuer à fonctionner sur ses bases actuelles ? Les Etats (surtout les pays occidentaux, et parmi eux ceux dont la prospérité reposait le plus sur les services et l’emprunt) ont évité l’effondrement généralisé en empruntant massivement pour sauver le système bancaire. Est-ce que cela peut suffire ? Faudra-t-il encore emprunter ? Le peut-on ? Toutes ces dettes grèveront-elles vraiment les générations à venir ou seront-elles effacées par un moratoire (ou par la guerre) ? Est-ce que le coupes budgétaires que Mme Merkel veut imposer à l’Europe pour protéger une chimérique « zone euro » des attaques des spéculateurs, tout comme un désengagement de l’Etat sous la houlette des Républicains aux Etats-Unis ne vont pas plonger l’OCDE dans une crise encore plus grave que celle qui a résulté de la faillite des banques il y a trois ans ? Je crois que même les meilleurs économistes n’ont pas de réponses à ces questions.
Il est clair qu’un effondrement généralisé du système économique changerait la donne. Il priverait les Etats occidentaux (qui ont déjà des difficultés de ce côté-là) des moyens de financer les budgets militaires (mais aussi peut-être d’autres pays comme la Russie ou des Etats émergents du Tiers monde de leurs propres moyens de fonctionner). Sur le plan idéologique, des modèles plus socialisants (ou à la rigueur keynésiens) seraient remis en selle (ce que redoutait déjà le Wall Street Journal fin 2008) dont on ignore quel impact ils auraient sur les relations internationales. Mettraient-ils un terme à la course à l’appropriation des matières premières en Afrique et au Proche-Orient par exemple ? Que vaudrait le cours de pétrole dans une économie mondiale en chute de 10 % chaque année ? Peut-être des pays à base industrielle forte et dotés d’un système bancaire encore nationalisé comme la Chine résisteraient mieux, mais tout cela est hypothétique. On peut aussi faire le pari qu’un effondrement économique favoriserait des replis identitaires, j’y reviendrai, et donc des regains d’agressivité, y compris de la part des puissances occidentales paupérisées (mais encore détentrices du contrôle sur la plupart des médias planétaires, de la plupart des arsenaux militaires, etc).
Personnellement je n’exclus pas ce genre de choc systémique mais je n’y crois pas trop (déjà en 1984 Fidel Castro évoquait la possibilité d’un effondrement du dollar du fait du surendettement du Tiers-Monde, et ce n’est jamais arrivé). Les élites mondiales ont toujours une forte capacité d’imagination pour conserver un système – tout comme le système bismarckien si l’on veut a quand même survécu une vingtaine d’année au décès de son inventeur avant de déboucher sur la Grande guerre de 1914-18. Disons que l’hypothèse d’une nouvelle grande crise économico-financière peut rester dans les paramètres possibles de l’évolution des rapports de forces, comme celle de grands désastres environnementaux à courte échéance, mais que ce n’est peut-être pas la plus probable.
2 – A supposer que le système actuel se maintienne encore vaille que vaille, les puissances moyennes « émergentes » peuvent-elles trouver une « respiration » dans ce cadre ?
S’il est vrai qu’il n’y a pas eu d’intervention militaire étatsunienne contre le Venezuela parce que, derrière, il y avait le Brésil qui avait basculé à gauche (et le Mexique, qui, sans avoir basculé, mais de justesse, pouvait aussi mobiliser son opinion publique), le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie peuvent-elles trouver les moyens de s’affranchir toujours plus de la dépendance à l’égard des puissances occidentales, et proposer des options politiques qui dissuadent l’ingérence euro-atlantiste ? La réponse à cette question dépend de l’évolution économique de ces pays, et de la capacité de l’Occident à maintenir un contrôle sur les technologies de pointe. Supposons que demain Monsanto maîtrise si bien les OGM que – notamment par le biais des biocarburants – il relègue le pétrole aux oubliettes. Je ne donnerais plus cher de la puissance du Venezuela, ni de l’indépendance politique du Brésil (qui a signé un accord avec les Etats-Unis sur les biocarburants en 2007).
Tout dépend aussi de l’évolution politique de l’opinion publique, non seulement dans les pays du sud mais aussi dans les pays du nord j’y reviendrai un peu plus loin.
3 – Ne se dirige-t-on pas vers un monde bipolaire Occident-Chine, comme il y eut une bipolarité Occident-URSS après la seconde guerre mondiale ?
C’est ce qui peut se produire si les puissances émergentes du sud ne parviennent pas à prendre leur place. Ce système vaut mieux pour les Occidentaux qu’un monde multipolaire car il est plus facile à gérer. Il peut aussi présenter un avantage pour les pays du sud qui peuvent jouer un bloc contre l’autre en fonction de leurs intérêts, mais cela tourne évidemment au désastre pour les pays du sud quand les « blocs » y déclenchent des guerres par procuration. Mais à mon avis c’est moins une question pour 2011 que pour 2021, vu la faiblesse relative de la Chine sur la scène internationale.
4 – Que peut-on attendre de l’opinion publique dans les pays du Sud ?
Il y a un phénomène intéressant en ce moment, c’est la montée des mouvements sociaux dans les pays du Maghreb. L’option la plus favorable à l’émancipation des pays du Sud serait l’installation en Tunisie d’un régime non-aligné, qui influencerait non seulement l’Algérie, mais aussi produirait un effet de contagion en Egypte, voire en Arabie Saoudite. Un basculement de tout le monde arabe dans le non-alignement signerait durablement un rétablissement du partage des richesses au profit des pays du Sud, en ouvrant la voie notamment à l’envolée des prix du pétrole décidée par l’OPEP et une généralisation des mécanismes de solidarité avec les non-producteurs du type ALBA dont le Venezuela a donné l’exemple. Nul doute évidemment qu’il y aurait alors une réaction concertée des pays occidentaux.
Donc l’évolution de l’opinion publique du monde arabe, et, au-delà, du monde musulman sera à suivre de très près.
Evidemment l’opinion publique de pays comme l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Argentine, et de vassaux des Etats-Unis comme l’Inde, ou de pays en voie de neutralisation comme la Russie comptera aussi beaucoup.
Par « opinion publique » j’entends bien sûr le peuple qui peut descendre dans la rue pour défendre son opinion (surtout en ces temps de flambée des cours du blé), mais plus encore de la bourgeoisie de ces pays qui est le soutien majeur des gouvernements qui les dirigent. Or l’espèce d’hégémonie idéologique des puissances occidentales, relayée par les grands médias planétaires, gène le ralliement de ces bourgeoisies à des options alternatives non alignées. Si on prend le monde musulman par exemple, l’hégémonisme occidental y est entretenu par la manière dont l’Occident y impose les termes du débat : entre une voie occidentale moderne consumériste, libérale, favorable à l’émancipation des femmes, et un « islamisme » soi-disant traditionaliste « obscurantiste ».
Il y a les médias qui entretiennent ces dichotomies artificielles. Il y a les fonds privés ou publics (y compris des fonds secrets gouvernementaux) qui abondent les réseaux journalistiques et universitaires pour légitimer ces croyances auprès des bourgeoisies locales. D’où aussi l’intérêt de suivre de près les politiques occidentales de « sponsoring » aux ONG et aux universités du Tiers-Monde. La capacité des peuples du sud à s’affranchir des termes du débat tels qu’ils sont posés par les Euro-atlantistes est aussi au cœur des enjeux planétaires des années à venir.
Or n’oublions pas que tout peut être objet de récupération des débats au service des intérêts du système mondial contrôlé par les puissances occidentales, à commencer par exemple, par la question écologique, en se présentant comme les championnes de la lutte contre les émissions de carbone, et culpabilisant les industries des pays émergents (alors que les émissions continuent de provenir massivement des pays riches).
5 – Que peut-on attendre de l’opinion publique dans les pays du Nord ?
Compte tenu de ce déséquilibre planétaire il est très important aussi que les opinions publiques des pays du nord se mobilisent contre la politique hégémoniste et agressive de leur establishment. Il faut militer pour la prise en compte des intérêts des pays du sud, contre le monolithisme de l’information, pour le démantèlement des structures militaires comme l’OTAN, contre l’opacité des organismes multilatéraux que nous contrôlons (OMC, FMI), pour des actions de solidarité à la base : allez par exemple demander à votre maire de jumeler votre ville avec une ville du Venezuela, de Palestine, peut-être même de Corée du Nord, pourquoi pas ? Plus on nourrit le débat en Occident (via Internet, mais pas seulement), plus on soutient les réseaux éditoriaux et d’informations alternatives, plus on crée des comités de résistance, et plus on affaiblit l’hégémonisme de la pensée dominante qui étouffe le monde.
Comment caractériseriez-vous, avec désormais le recul nécessaire, la politique militaire et étrangère du président Obama ?
Obama a poursuivi l’action initiée par Bush au cours de son second mandat : abandon de l’intervention directe « messianique » (qui prolongeait l’intervention « humanitaire » de Clinton au Kosovo), accent mis sur le travail de sape « indirect » via les fonds secrets et l’USAID, négociation avec les alliés et utilisation de ceux-ci pour « partager le fardeau » du contrôle du monde. Il a d’ailleurs gardé le même secrétaire à la défense que Bush pour mener à bien cette politique. L’abandon de l’interventionnisme direct est une concession faite au mouvement anti-guerre très important qui s’est développé aux Etats-Unis en 2005-2006, et une prise en compte des difficultés économiques du pays qui ne permettaient pas une projection de forces sur plusieurs fronts à la fois. Le fait qu’Obama était noir et qu’il fût au départ un petit peu plus à gauche qu’Hillary Clinton (quoiqu’un peu moins que d’autres tendances du parti démocrate) a pu aussi être utilisé à des fins de propagande par les grands médias pour faire croire à une conversion des Etats-Unis à une logique de monde « multipolaire », mais dès son arrivée au pouvoir Obama a donné des gages à l’appareil militaire américain et à la droite en refusant de fermer Guantanamo comme il l’avait promis, en poursuivant le soutien à Israël, en bloquant l’accès aux archives sur le 11 septembre (et donc toute possibilité de débat), en renforçant l’action militaire en Afghanistan.
Le retour en force des Républicains au Congrès à l’issue des dernières élections de 2010 m’inquiète. D’autant qu’il ne s’agit pas principalement de l’aile isolationniste des Républicains (tendance Ron Paul), mais des plus interventionnistes, lesquels ont déjà proposé à Obama un pacte d’alliance sur les questions de sécurité.
Ces gens ont une vision paranoïaque de l’Occident comme d’une citadelle assiégée qui doit attaquer la première si elle ne veut pas être anéantie, et c’est une vision qui a ses relais en Europe aussi.
C’est aussi une vision très « identitaire » des rapports entre les peuples et les civilisations, notamment sur des bases religieuses. Après la grande alliance stratégique de Clinton-Brzezinski avec l’Islam politique (une alliance qui a commencé contre l’URSS en Afghanistan en 1979 sous Carter dont Brzezinski était conseiller et qui s’est poursuivie en Bosnie et en Tchétchénie), l’establishment euro-atlantique peut être tenté par la croisade judéo-chrétienne, ou laïco-judéo-chrétienne (beaucoup de défenseurs de la laïcité étant prêts à soutenir l’interventionnisme occidental contre « l’islamisme »). C’est le genre de croisade dans lequel Washington pourrait enrôler Moscou (voire Pékin en jouant sur l’hostilité entre islamistes et « communistes athées »), sur la base qui plus est d’un intérêt économique commun face à l’alliance potentielle entre pays du Proche-Orient et nations exploitées du sud. Bref le potentiel de nuisance de l’Empire occidental reste considérable.
Quelles ont été les incidences et les limites des inflexions d’Obama sur les grands dossiers évoqués précédemment (Palestine, Irak, l’Iran, Afghanistan, Amérique Latine, etc.) ?
Certains pays ont pu tirer quelque profit des « poses » de l’interventionnisme occidental qu’on a pu voir apparaître à l’époque de George W. Bush. Le Venezuela a pu respirer un peu plus et nouer ses alliances avec la Biélorussie, l’Iran, la Syrie. L’hypothèse d’une intervention au Darfour (dans une guerre civile bien plus complexe que ne le laissait croire la propagande des néoconservateurs) a été abandonnée. L’Iran a vu reculer le risque d’intervention militaire. On a évité le pire. Mais il n’y a pas eu de progrès sérieux sur le dossier palestinien, et grosso modo l’Occident a pu maintenir l’essentiel de ses positions, au point même, comme je le disais plus haut, de pouvoir repasser à l’offensive, en Amérique latine par exemple. Par ailleurs le conflit s’est intensifié en Afghanistan dont toutes les dimensions ne sont pas connues, ainsi qu’au Pakistan, base arrière des Talibans qui trouvent un soutien patriotique de plus en plus massif chez les Pachtounes des deux côtés de la frontière. Les dommages collatéraux sur les vies des Pakistanais et sur la stabilité du pays sont énormes (alors que c’est une puissance nucléaire). Sur le dossier afghano-pakistanais les Etats-Unis sont dans la même impasse que l’URSS autrefois et ils ont réussi le tour de force d’entraîner l’Europe et l’Inde avec eux dans cet échec.
Quelle évaluation peut-on faire selon vous de la nouvelle politique de la France, sur la scène internationale ?
La France est un pays très important dans le système mondial. Elle fut il y a deux siècles (ce n’est pas si vieux) la première puissance militaire mondiale, et elle a été la première avec les Etats-Unis d’Amérique à porter pour toute l’humanité un message universaliste de libération planétaire, celui de la Révolution française, qui continue d’inspirer les peuples du Sud. Les deux guerres mondiales l’ont affaiblie et les crimes de l’aventure coloniale ont terni son image, mais quelques soubresauts de sa puissance dans la seconde moitié du XXème siècle, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire et son rôle clé dans la construction européenne en font une pièce stratégique majeure.
Il y a eu des velléités de non-alignement intéressantes à l’époque gaullienne (quoique De Gaulle ne soit jamais allé jusqu’à retirer complètement la France de l’OTAN, ni de la Communauté économique européenne qui était pourtant déjà à l’époque un projet étatsunien, et encore moins jusqu’à rejoindre le Mouvement des Non alignés comme l’avait fait la Yougoslavie de Tito – ce qui eût supposé que la France abandonnât toute velléité néo-coloniale en Afrique).
Ces velléités ont été en grande partie abandonnées par Valéry Giscard d’Estaing (malgré la défense de quelques positions encore sur des thèmes comme la Palestine), vaguement reprises au début du premier mandat de François Mitterrand (avec Claude Cheysson comme ministre des affaires étrangères), puis à nouveau abandonnées – on se souvient de la question des euromissiles, de la première guerre du Golfe. Jacques Chirac a suivi grosso modo la même pente atlantiste que François Mitterrand (abandon des essais nucléaires, bombardement de la République fédérale de Yougoslavie, opération militaire conjointe avec les Etats-Unis à Haïti) à l’exception notable d’une opération de communication courageuse mais éphémère de Dominique de Villepin contre les néo-conservateurs durant la guerre d’Irak. C’est avec Nicolas Sarkozy que l’alliance avec les néo-conservateurs américains s’est affirmée sur le mode le plus « décomplexé » (étouffement du « non » français au référendum sur la constitution européenne, retour dans le commandement intégré de l’OTAN, soutien à Israël au Proche-Orient, envoi de troupes en Afghanistan sur les théâtres d’opération et non plus seulement pour des missions de soutien comme l’avait voulu Jacques Chirac), le tout avec les félicitations des grands médias acquis à l’option atlantiste depuis longtemps.
Cet alignement n’a pas toujours été parfaitement cohérent. A l’égard de la Russie (à laquelle la France s’apprête à livrer des porte-hélicoptères de classe Mistral avec le transfert de technologie correspondant) ou du Venezuela par exemple la France de M. Sarkozy s’est montrée un peu plus ouverte que Washington ne l’eût souhaité. Parfois au contraire la surenchère atlantiste est allée au delà des souhaits étatsuniens, par exemple avec les rodomontades de M. Kouchner contre l’Iran. On peut se demander aussi aujourd’hui si la sympathie affichée par l’UMP pour le Parti communiste chinois ne fonctionne pas un peu à contretemps des Etats-Unis (quoique dans ce pays une partie de la droite aussi souhaite un gentlement agreement avec Pékin pour la gestion des affaires du monde). Mais dans l’ensemble l’alignement sur Washington pour l’essentiel est acquis, comme l’a révélé l’accord militaire (hélas en partie secret) signé avec le Royaume-Uni cette année sous couvert de « sauver » la force de dissuasion française face à l’option dénucléarisatrice d’Obama. Cette alliance avec le Royaume-Uni qui met en cause l’indépendance de l’utilisation de l’arme atomique n’a pas suscité de grande opposition, à gauche notamment (au sein du PS largement pro-atlantiste), pas plus qu’on ne dénonce le coût de la participation du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN (80 millions d’euros par an), ni sa participation au nouveau projet anti-missile d’Obama (qui, en protégeant les populations du risque nucléaire, pourrait réhabiliter subrepticement la légitimité des guerres conventionnelles).
Il est dommage que l’opinion publique française ne s’intéresse pas davantage à l’équilibre mondial et ne parvienne pas à se faire une idée réaliste du fonctionnement du monde et de ce qu’il faudrait faire pour l’améliorer, car la France possède de très nombreux atouts.
Elle peut notamment faire échouer le projet de construction européenne tel qu’il est conçu par les Etats-Unis d’Amérique et qui est un pilier de la domination américaine dans le monde, non seulement parce qu’il finance une grande partie de cette domination mais aussi parce qu’il en est une caution idéologique majeure. La France à ce niveau a toute une série d’options à sa disposition qui vont de la sortie pure et simple de l’Union européenne et de l’OTAN, jusqu’à la menace d’une dénonciation du traité de Lisbonne pour infléchir la stratégie militaire de l’Europe et l’ouverture d’une négociation collective pour la dissolution de l’OTAN (à mon sens la sortie pure et simple de la France de ces institutions serait le plus efficace, mais cela supposerait, derrière, une stratégie de reconstruction d’alliances avec tel ou tel pays d’Europe rallié à des vues non alignées s’il en apparaît après notre retrait, avec la Russie, la Chine, ou des pays du Tiers-Monde, qui nous préserve du repli sur soi, repli sur soi qui serait à nouveau facilement exploitable par les Etats-Unis).
La France aurait aussi une carte à jouer pour aider à soustraire le Proche-Orient et l’Afrique à la mainmise euro-atlantiste (sans pour autant chercher à reconquérir ces zones dans une logique néo-coloniale) mais tout cela suppose une réorientation diplomatique à 180 degrés, et, derrière, une évolution de l’opinion publique sur la voie d’une confiance dans le projet politique que la France pourrait porter dans le monde. Il n’est pas exclu qu’elle y parvienne un jour. Je note que certains courants d’opinion assez sensibles à la question de l’impérialisme, notamment dans les « diasporas » du Sud, dans les milieux issus de l’immigration, commencent à s’interroger là-dessus.
Nous abordons dans ces colonnes la « nouvelle stratégie » de l’Autorité Palestinienne; quelles sont à vos yeux les perspectives d’évolution au proche et moyen orient ?
Depuis 2009 on annonce la reprise de négociations entre le Fatah et le Hamas, qui chacun contrôlent bien leurs positions (en Cisjordanie d’un côté, à Gaza de l’autre). L’Autorité palestinienne n’a rien gagné à collaborer avec Israël, et Israël n’a rien gagné à tenter de terroriser les civils à Gaza puis de les affamer. Le Fatah et le Hamas sont deux tendances majeures du mouvement de libération nationale palestinienne qui ne peuvent pas éviter de s’entendre. Et les Occidentaux quant à eux feraient bien de reconnaître une certaine représentativité au Hamas (même si certains aspects de ce mouvement peuvent paraître à juste titre assez antipathiques) et condamner sans équivoque le blocus inhumain de Gaza, sans quoi ils ne font que radicaliser le conflit et compromettent toujours plus les chances d’une paix juste et durable.
Mon sentiment personnel est que sur le long terme les protagonistes devront s’orienter vers une solution à un seul Etat non confessionnel (la colonisation ayant de toute façon rendu l’Etat palestinien non viable), avec un processus de réconciliation à la sud-africaine, et le respect du droit au retour de tous les Palestiniens en exil. En tout état de cause à court terme il ne peut y avoir de solution juste au conflit tant que les Etats-Unis poursuivent leur politique de soutien inconditionnel à Israël et sans des pressions efficaces pour conduire le gouvernement de Tel Aviv à la table des négociations. L’aveuglement des Etats-Unis sur ce dossier contribue non seulement à aliéner le soutien d’une partie des bourgeoisies (et des diasporas) musulmanes tentées de définir leur propre voie (éventuellement sur la base de l’Islam politique) plutôt que d’adhérer au rêve américain (ce qui oblige l’Occident à soutenir des dictatures militaires pour contrôler les populations – d’où l’échec du projet de Grand Moyen), mais il encourage aussi Israël dans un isolement paranoïaque stérile. Cette instabilité n’est pas complètement incompatible avec les intérêts de l’Occident – qui y trouve des avantages notamment pour les ventes d’armes – mais elle joue un rôle négatif sur l’image « œcuménique » que l’Occident voulait se donner, et pourrait conduire de plus en plus au repli croissant sur des positions « laïco-judéo-chrétiennes » intégristes dont je parlais plus haut, au cœur même de la culture occidentale, bref à de nouvelles formes très dangereuses d’obscurantisme belliciste.
Vous avez développé des analyses approfondies et très remarquées sur des sujets qui ont également fait l’actualité (Côté d’Ivoire, Myanmar, Géorgie, Serbie, etc.). Quelle évaluation faites-vous aujourd’hui de ces analyses sur ces différents dossiers ?
Ce sont là des petits pays qui n’ont pas de très grandes marges d’action, et qui pourraient connaître des évolutions beaucoup plus favorables (notamment sur la voie d’une démocratisation authentique) sans l’ingérence des puissances étrangères. Prenons la Côte d’Ivoire, pays qui a offert l’essentiel de ses richesses aux multinationales françaises. C’est un pays enlisé dans un montage politique issu des accords de Marcoussis (réactivés à Accra) patronnés par la France en 2003. Aujourd’hui l’ancien poulain de Paris n’obéit plus aux commandes du maître, un peu comme Saddam Hussein naguère en Irak. Le voilà donc diabolisé. La France alliée aux Etats-Unis se permet les pires ingérences : court-circuitage des opérations de comptage des voix, pressions sur l’ONU pour la défense militaire du candidat de l’opposition, chantage à la guerre civile. Ce travail de manipulation cynique peut déboucher effectivement sur la guerre. Pourtant d’autres solutions existent de partage du pouvoir, comme celle proposée par l’Angola. Evidemment la grande presse n’en parlera pas et le fait que Ouattara bénéficie du soutien international ne peut faciliter le compromis. En outre cette guerre s’inscrit dans le phénomène plus général de contrôle militaire du Sahel par l’occident. Ces ingérences nourrissent en retour les replis identitaires, et peuvent aboutir à l’éclatement d’autres pays encore. Les Etats-Unis ont voulu l’éclatement du Soudan, Kadhafi parle de celui du Nigéria.
Le Myanmar reste une dictature, parée depuis peu de faux habits démocratiques (mais une démocratie pas plus artificielle que celle d’Haïti par exemple). Mais comment envisager une démocratisation de ce pays quand on sait qu’il contrôle l’approvisionnement en pétrole du sud de la Chine ? Nos soutiens à Aung San Suu Kyi s’inscrivent dans ce contexte là (et même à supposer que Aung San Suu Kyi soit une responsable intègre comme le fut Vojislav Kostunica en Serbie en 2000, nul ne sait qui s’imposerait derrière elle ou dans son sillage en cas de transition politique au Myanmar). Les militaires birmans ont beau jeu de dire que s’ils laissent la place aux principaux partis d’opposition ceux-ci travailleront pour les Occidentaux. Les diverses « révolutions colorées » menées par les occidentaux dans les années 2000 ont montré que derrière les mouvements d’opposition vantés par nos médias il y a souvent la fondation Soros ou USAID, et des leaders à la Iouchtchenko (l’ex leader de la révolution orange ukrainienne qui a fini détesté par son peuple) ou à la Hamid Karzaï dont le souci n’est pas vraiment la souveraineté et l’indépendance de leur peuple. Ainsi le jeu pervers de l’ingérence occidentale finit par placer les peuples devant des choix impossibles entre des leaders au service des multinationales occidentales, et d’autres soutenus par la Chine ou la Russie, plus « souverainistes », et soumis à d’autres réseaux d’exploitation et de corruption. Ce sont des données que l’opinion publique doit avoir en tête pour combattre le système impérial dont ces situations sont les sous-produits.
La Géorgie illustre le cas de ces puissances régionales qui font le choix d’être des sous-traitants du Pentagone sur des lignes de front potentielles, comme le Rwanda, la Colombie, la Corée du Sud ou la Thaïlande (il y aurait beaucoup à dire sur ce pays aussi où l’alternative politique des « chemises rouges » a été complètement disqualifiée par nos grands médias malgré le soutien populaire dont elle jouissait, ou à cause de ce caractère populaire…). La Géorgie a perdu une guerre à ce jeu, mais dans le contexte actuel il n’est pas sûr que ses habitants aient d’autre choix que celui fait par leur président Saakachvili, la preuve étant que l’opposition géorgienne est devenue pratiquement inaudible, pas seulement à cause de la répression. En échange ce genre de pays peut obtenir une marge d’influence sur son patron à Washington, pousser à la guerre même quand Washington est réticent (ce qui semble avoir été le cas en août 2008). Cet essor de la puissance militaire ne va pas forcément dans le sens des intérêts de la population, mais celle-ci peut avoir le sentiment à tort ou à raison qu’elle la protège de dangers plus grands (dans le cas des Géorgiens il redoutent une nouvelle russification de leur culture).
Le cas serbe lui est particulièrement triste parce qu’il concerne un pays qui, après avoir vaillamment résisté à des empires brutaux (empire ottoman, austro-hongrois), et sacrifié des millions de vies à la résistance antinazie, reste largement diffamé comme pays « génocidaire » au terme d’une propagande invraisemblable développée par les médias occidentaux (et donc planétaires) dans les années 1990 au plus fort de l’enthousiasme hégémonique de l’OTAN. Aujourd’hui ce pays est dans l’incapacité de faire entendre sa version de l’histoire parce qu’il doit s’aligner sur tous les standards idéologiques européens s’il veut espérer intégrer l’Union européenne un jour. Même l’étonnant rapport Dick Marty (de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) selon lequel les nationalistes albanais (l’UCK) pour lesquels et aux côtés desquels l’OTAN a fait la guerre en 1999 à cette époque-là se sont livrés à des trafics d’organes sur des prisonniers civils serbes n’a pas droit de cité dans le débat public en Occident (il est vrai que c’est une affaire bien gênante pour les dirigeants de nos pays). Le chantage à l’adhésion à l’Union européenne a permis aux Occidentaux d’obtenir à peu près tout de ce pays (envoi de dirigeants au tribunal pénal international sans vote de loi préalable pour l’autoriser, absence d’initiative pour rétablir l’impartialité de ce tribunal, recomposition de la classe politique et des partis en fonctions des intérêts de l’Occident, etc). Mais il y a des phénomènes comparables dans d’autres pays du Tiers-monde avec diverses formes de chantage à l’aide économique. C’est ce qui contribue à ce que la vérité historique, notamment la vérité sur les guerres, n’émerge que très tard. Il a fallu 30 ans pour connaître précisément l’impact des méfaits de l’agent orange en Asie du Sud Est ou la guerre secrète menée par les Etats-Unis au Laos dans les années 1970. Il en faudra peut-être trente autres pour avoir une vision précise des méfaits de l’uranium appauvri en ex-Yougoslavie ou de l’action des Etats-Unis à Falloujah en Irak en 2004 (par exemple).
Un des buts du blog de l’Atlas alternatif est de parler de ces pays trop petits pour se faire entendre, trop saisis dans des réseaux de dépendance, notamment ceux qui subissent des embargos ou des conflits meurtriers, et de faire connaître à leur propos des faits peu diffusés dans les médias, qui sont souvent des faits qui ne vont pas dans le sens de la bonne conscience occidentale – tout cela évidemment en restant dans le domaine de l’analyse raisonnable, sans colporter de rumeurs ou peu fiables, et sans paranoïa complotiste…
Quelle est votre analyse de la situation au Maghreb, et quelles sont les évolutions possibles sur le moyen terme ?
Le mouvement initié en Tunisie, à la suite d’une situation d’inégalité économique et d’iniquité politique particulièrement choquante, est très impressionnant : le courage du peuple, sa détermination, le degré d’organisation du mouvement social sont remarquables et pourraient bien influencer d’autres pays, ce qui pourrait être l’annonce d’un basculement du Proche-Orient dont je parlais plus haut.
Le fait que le régime tunisien ait eu de bons rapports avec la France, les Etats-Unis, Israël, le FMI (M. Strauss-Kahn l’a cité en exemple il y a 2 ans) est aussi un signal pour les
peuples arabes : le soutien des grandes puissances ne suffit plus à rendre les dictatures invulnérables. Mais on sait aussi hélas qu’il y a plusieurs façon de confisquer une révolution. Dans le cas tunisien les Etats-Unis s’étaient déjà éloignés de M. Ben Ali comme l’avait
montre un télégramme reproduit par Wikileaks. La « transition démocratique » en Tunisie est confiée à un proche du dictateur déchu, qui constitue un gouvernement constitué de partis pro-occidentaux. S’il veut une Tunisie non-alignée, le peuple devra sans doute maintenir sa pression.
Le cas tunisien peut inciter l’Algérie et le Maroc à démocratiser leurs régimes, mais je ne crois pas qu’il existe à court terme dans ces pays de mouvement politique assez solide pour entraîner des changements radicaux du type de la révolution iranienne de 1979 ou de la révolution bolivarienne au Venezuela. Au Maroc, parce que la monarchie s’est déjà réformée, et que la figure du roi maintient semble-t-il un fort consensus politique national, malgré les mécontentements sociaux (cependant il faut reconnaître que nous connaissons mal la situation dans ce pays, voir par exemple les arrestations de membres du Al Adl Wal Ihsane fin janvier peu connues en France). En Algérie, parce que l’opposition aux militaires est divisée et que le souvenir de la guerre civile hante les esprits. Il y aurait plus à attendre de changements au Machrek, en Egypte notamment (deuxième bénéficiaire de l’aide militaire étatsunienne). Nul doute que l’opposition égyptienne doit déjà préparer des plans d’action, et le Conseil national de sécurité étatsunien doit quant à lui réfléchir aux moyens de neutraliser le plus possible l’aspiration populaire au changement dans ce pays.
Pour finir sur une note d’avenir, quelles sont à l’aube de l’année 2011 les raisons d’espérer et d’agir, pour un citoyen aspirant à la justice et à la paix ?
En France les citoyens disposent de nombreux moyens d’information et d’action. Internet notamment leur permet de bien connaître la réalité mondiale par delà les mensonges des grands médias, à condition toutefois de savoir trier le bon grain de l’ivraie, et leur donne aussi les moyens d’entrer directement en contact avec diverses personnes prêtes à faire bouger les choses. L’important est qu’ensuite ils sachent se détacher de leurs écrans d’ordinateurs pour créer des groupes, des associations dans le réel, et acquérir un sens de la persévérance et de l’efficacité dans l’action collective. A priori il serait assez facile de constituer une sorte de plateforme nationale qui entretiendrait des relations avec divers mouvements à l’étranger hostiles aux logiques impériales – des mouvements basés ailleurs en Europe et sur les autres continents, il en existe beaucoup -. Ce genre de plateforme pourrait se fixer des objectifs à la fois fédérateurs, percutants et réalistes comme obtenir la sortie immédiate de la France de l’OTAN, le retrait des troupes françaises d’Afghanistan et d’Afrique, faire du lobbying auprès des élus nationaux et européens contre l’ingérence financière, politique et militaire occidentale dans le monde, et contre toutes les mesures prises pour renforcer notre dépendance à l’égard des Etats-Unis (la communication des informations bancaires, la préparation du grand marché euro-atlantique, etc). Nous pourrions à cet égard prendre exemple sur les Québécois qui ont constitué un collectif pour la fin de l’occupation de l’Afghanistan et la sortie du Canada de l’OTAN « Echec à la Guerre » regroupant plusieurs partis politiques, dont Québec solidaire, l’organisation des jeunes du Parti québécois et les deux partis communistes, ainsi que des syndicats importants, de nombreuses organisations de lycéens, d’étudiants, d’immigrés ou d’autochtones, des associations religieuses de différentes confessions, des comités de quartiers. Ce collectif prend une envergure telle que même les grands médias atlantistes de cette province en sont venus à en parler. L’alignement de plus en plus assumé par les élites de la France sur le militarisme étatsunien salit l’image de notre pays dans le monde. Tout ce qui peut se constituer pour contrebalancer cette orientation sera utile à l’équilibre de notre planète et fera immanquablement boule de neige dans d’autres pays aussi.
Si la société française ne s’avère pas prête à aller aussi loin que les Québécois, au moins les gens peuvent-ils continuer à une échelle plus modeste à agir pour le non alignement de la France, au sein des partis politiques par exemple. Je suis assez satisfait par exemple de voir dans la classe politique des dirigeants comme M. Mélenchon ou M. Dupont-Aignan assumer de plus en plus clairement (même si parfois je trouve qu’ils devraient aller plus loin encore) des positions anti-atlantistes au risque d’être impopulaires dans les grands médias. Ils y seront d’autant plus encouragés que les pressions des électeurs « de base » et des militants de leurs partis se manifesteront dans ce sens. Cela vaut aussi pour les militants et électeurs des autres partis qui peuvent œuvrer à soustraire ces organisations à l’influence atlantiste.
Et d’ailleurs l’uniformité pro-étatsunienne des grands médias elle-même se fissure sous le poids de la concurrence d’Internet. Ils savent que beaucoup de gens – notamment des jeunes – ne leur font plus confiance. Et des journalistes comme Frédéric Taddei sur France 3 sont obligés d’inviter à leurs émissions des publicistes qui diront du bien de Chavez et du Hezbollah libanais, les chaînes de la TNT doivent bien se résigner à laisser tel homme politique démystifier le Dalaï Lama, puis les vidéos de ces « morceaux de bravoure » circulent ensuite sur le Net. Les journaux qui, il y a dix ans, donnaient le « la » de la bienpensance comme Le Monde, Le Figaro et Libération sont au bord de la faillite face à la concurrence de gratuits qui, certes, ne sont pas plus objectifs qu’eux, mais au moins ne peuvent pas avoir de prétentions intellectuelles comparables. Nous sommes loin d’avoir atteint un bon équilibre dans le traitement de l’information, mais au moins les édifices dogmatiques sont fragilisés. Ce sont des éléments encourageants.