Edouard Schoene, élu de l’agglomération grenobloise, a participé à la délégation française des observateurs pour les élections législatives en Turquie du 1er novembre 2015, remportées par le parti du Président Erdogan. Il répond ici à nos questions.
Question de l’arme et la Paix : vous vous êtes récemment rendu en Turquie comme « observateur » à l’occasion des élections législatives. Quelle était exactement votre mission et quel en était le cadre ?
Edouard Schoene : L’association AIAK, « Association Iséroise des Amis des Kurdes », est membre de La Coordination Nationale Solidarité KURDISTAN (CNSK).
La CNSK a envoyé, à la demande du HDP, Parti démocratique des Peuples, une trentaine d’observateurs pour les élections législatives du 1er novembre.
Nous étions cinq de Rhône Alpes, dont deux de l’Isère, Maryvonne MATHEOUD, présidente d’AIAK et moi-même.
Aux élections législatives du 7 juin 2015, le HDP a réussi à dépasser le seuil électoral de 10%, ce qui a eu pour effet de priver le parti AKP de la majorité absolue au parlement et d’empêcher le Président ERDOGAN de mener le pays vers un système présidentiel renforcé.
Le président ERDOGAN a choisi alors la voie de la tension en convoquant de nouvelles élections en novembre et en multipliant, avec l’aide de la police, de l’armée et de militants de son parti, l’AKP, incendies et pillages de locaux du HDP et de magasins.
L’armée a bombardé les bases de la guérilla kurde au Sud-Kurdistan (Irak).
Plus de 1 400 membres du HDP, dont 7 Maires ont été arrêtés.
Après les attentats d’Ankara (plus de 100 morts, 500 blessés), malgré la trêve décrétée unilatéralement par le PKK, la tension a monté en Turquie et le HDP a dû mettre un terme à toutes les réunions publiques, par mesure de sécurité pour les électeurs et militants.
Tous les moyens de communication (télévisions, presse) ont été quasi exclusivement au service de la parole du Président et de l’AKP.
Dans ces conditions le CNSK a répondu à l’appel pour un contrôle des élections législatives du 1er novembre 2015.
Notre mission a consisté à observer un territoire à la veille des élections, puis le déroulement du scrutin, afin de vérifier que les règles démocratiques que se sont données les Turcs étaient respectées.
Question : qu’est-ce qui vous a frappé et quelles sont les observations que l’on peut faire sur la situation en Turquie ?
Edouard Schoene : à DERSIM où nous étions du vendredi 30/10 au 3 novembre inclus, nous avons été frappés par la forte présence militaire et policière (nombreuses casernes, blindés dans la ville) ; nous avons été arrêtés à plusieurs barrages de contrôles (nos collègues restés à DERSIM ont été interdits de bureaux par la police).
J’ai vu, dès Istanbul le 29, que les régions à fortes populations Kurdes étaient considérées comme des lieux de quasi guerre.
Dans la nuit du samedi au dimanche, à quelques heures de l’ouverture du scrutin, l’armée a tué un Kurde, blessé un autre et arrêté deux personnes à DERSIM.
Nous avons visité le cimetière de DERSIM où des tombes récentes, sans nom, de résistants kurdes côtoient la tombe de Sakine Cansiz assassinée à Paris en janvier 2013 avec deux autres militantes (assassinat avec la complicité des services secrets turcs).
L’inquiétude règne dans les territoires que nous avons visités brièvement.
Question : peut-on qualifier ces élections de démocratiques ?
Edouard Schoene : formellement à ELAZIG (environ 375 000 hab), ville où nous nous sommes rendus, les deux délégués de l’Isère accompagnés par un bon interprète et des militants turcs (Ligue des droits de l’homme), le scrutin lui-même s’est relativement bien déroulé, le jour du scrutin.
Nous avons visité 11 bureaux dans cinq lieux de votes.
Le scrutin est obligatoire mais nous n’avons pas pu identifier le nombre d’électeurs qui ne figuraient pas sur les listes électorales.
Les infractions observées étaient la présence de la police dans l’enceinte des élections, voire dans un bureau, des signes extérieurs d’appartenance politique des délégués AKP dans les bureaux de vote.
Nous avons été intimidés à plusieurs reprises par la police pour interrompre notre mission ; nous avons néanmoins poursuivi jusqu’au dépouillement dans un bureau où l’AKP a réalisé un score de 75% des votants (15 listes). 78% de votants pour un système où le vote est obligatoire.
Pour autant, par nos observations et rencontres, nous rejoignons le rapport très critique des observateurs de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) publié le 2 novembre dénonçant les conditions du scrutin turc du 1er novembre qui ont mené à la réélection d’Erdogan.
« Bien que les citoyens turcs aient pu choisir entre plusieurs alternatives politiques réelles au cours de cette élection très polarisée, la pression sur la ligne éditoriale des médias, et les restrictions à la liberté d’expression en général, ont entaché le processus électoral et restent de sérieuses inquiétudes « , a déclaré Ignacio Sanchez Amor, coordinateur et chef de la mission d’observation de l’OSCE. « Les attaques physiques sur les membres d’autres partis, ainsi que les importants problèmes de sécurité, notamment dans le sud-est ont en outre imposé des restrictions sur la capacité de certains partis à faire campagne. »
Question : quelle est la nouvelle donne en Turquie, à l’issue de ces élections, et quelles sont ses possibles conséquences – en Turquie comme dans sa zone d’influence ?
Edouard Schoene : Tout est à craindre du pari gagné par le président ERDOGAN : gagner le scrutin du 1er novembre par la terreur.
Les informations que nous avons reçues après le scrutin nous font craindre le pire : arrestations, morts se multiplient.
Question : comment les résultats de ces élections peuvent-ils influer sur le cours du conflit syrien ?
Edouard Schoene : Suite à sa victoire électorale, le président ERDOGAN a réaffirmé son intransigeance envers le PKK. « Nous continuerons notre combat jusqu’à ce que l’organisation terroriste enterre ses armes, que ses membres se rendent et quittent le sol turc », a-t-il déclaré. « Nous avons toujours dit que nous étions prêts à respecter un cessez-le-feu bilatéral. Mais il n’est pas possible de maintenir une période d’inactivité face aux activités actuelles du gouvernement de l’AKP », a souligné dans son communiqué jeudi le mouvement.
Nous avons rencontré sur place, des témoins de la guerre menée en Syrie par les Kurdes contre DAESH.
La répression du pouvoir turque contre le HDP, contre les Kurdes est un élément qui participe objectivement au soutien de DAESH.
Il appartient aux démocrates français d’exiger de nos gouvernants de changer leur politique de soutien beaucoup trop inconditionnel au Président ERDOGAN et d’agir pour la paix.
J’invite les lecteurs à s’informer sur la situation des Kurdes de Turquie notamment sur les sites suivants :
« Amitiés Kurdes de Bretagne »
« Association de solidarité France-Kurdistan » (Facebook)
Informations sur la page facebook d’AIAK et contact avec l’association : aiak.contact@gmail.com «